Agir enfin contre l'évasion
fiscale
Le Monde.fr | 04.04.2013
à 15h36 • Mis à jour le 04.04.2013 à 17h17Par Dominique Plihon
(porte-parole d'Attac) et Vincent Drezet (secrétaire général de Solidaires
finances publiques)
L'affaire
Cahuzac jette une lumière crue sur les politiques de lutte contre l'évasion
fiscale menées par les autorités politiques françaises depuis trop d'années.
Pire encore : la dénonciation des "méthodes douteuses" de Médiapart et
le soutien quasi-unanime apporté depuis plusieurs mois par la classe politique, à commencer par
le Parti socialiste et l'UMP,
à un ministre du budget sur qui pesaient de forts soupçons d'évasion fiscale,
démontrent au mieux une négligence, au pire une complaisance de l'élite
politique vis-à-vis de l'évasion fiscale.
Comment expliquer que
le président de la République, le gouvernement et le Parlement aient pu fermer les
yeux sur un conflit d'intérêt aussi manifeste, en laissant M. Cahuzac à son
poste alors que sa propre administration fiscale aurait dû ouvrir des
investigations à son sujet ? Surtout, comment justifier que,
sous couvert de "réforme de l'État", les effectifs de
l'administration fiscale aient perdu 25 000 agents depuis 2002 ? Et que le
nombre de vérifications approfondies de situations personnelles ait chuté de 12
% entre 2006 et 2011 ?
Cette
question de l'évasion fiscale recouvre pourtant des enjeux considérables, tant
au plan éthique qu'économique. Nous le disons depuis longtemps, mais cela a été
confirmé encore récemment par un excellent rapport sénatorial sur la question,
le rapport Bocquet,
publié en juillet dernier et immédiatement enterré par M. Cahuzac et Moscovici,
qui se sont bien gardés de lui donner la
moindre suite. Alors que la réduction des déficits sert de prétexte à des
politiques d'austérité sans précédent, une lutte résolue contre l'évasion
fiscale permettrait de récupérer une grande part des 60 à 80 milliards d'euros
qui fuient chaque année illégalement les caisses publiques.
Après
l'aveu de M. Cahuzac, médias et politiques
crient à l'ignominie et la trahison. Mais pour rétablir la crédibilité de
l'action publique, crier haro
sur le baudet ne suffira pas. Qu'il ait fallu une rocambolesque bourde
téléphonique et l'opiniâtreté de Médiapart pour que le fisc
ait vent de cette affaire montre à quel point l'administration fiscale est
aujourd'hui totalement démunie face à de telles pratiques. Nous proposons cinq
mesures-clés qui permettraient aux autorités publiques de rompre clairement
avec des années de négligence et de complaisance vis à vis de l'évasion et de
la fraude fiscales.
En
premier lieu, l'Etat doit embaucher sous
12 mois au moins 1 000 agents de contrôle fiscal pour renforcer les
5000 vérificateurs actuellement en poste. A en juger par
le rendement de ces derniers, chacune des nouvelles recrues rapportera à l'État
2,3 millions d'euros par an grâce aux redressements fiscaux opérés, soit 40
fois le montant de son traitement.
En
même temps, il faut prendre de
réelles mesures contre l'évasion en commençant par l'établissement
d'une liste crédible des paradis fiscaux, en lien avec les associations
spécialisées, et en exigeant la communication de l'identité de tous les
ressortissants français détenteurs de comptes à l'étranger, notamment mais
pas seulement dans les paradis fiscaux.
On
peut commencer par
la Suisse, comme l'ont fait en 2010 les
États-Unis auprès d'UBS, avant de généraliser la mesure avec la loi FATCA qui
oblige tous les groupes bancaires opérant aux États-Unis, depuis début 2013, à communiquer
sur demande du fisc américain les données concernant ses ressortissants. Ce
précédent montre qu'il s'agit d'une simple question de volonté politique,
présente aux États-Unis et inexistante jusqu'à aujourd'hui en France et en Europe.
Il
conviendra ensuite de donner 12 mois aux banques opérant en France pour
fermer leurs
filiales dans ces territoires, sous menace de retrait de la licence
bancaire sur le territoire français. Selon l'étude de référence du CCFD-Terre Solidaire, les
banques françaises ont 527 filiales dans les paradis fiscaux, dont 360 pour la
seule BNP Paribas ! La mesure récemment prise dans le cadre de la réforme
bancaire, imposant aux banques la publication de leurs activités par pays, est
positive mais encore insuffisante à cet égard, tout comme cette réforme
elle-même, symbole de la démission du politique face au lobby bancaire.
Enfin
c'est à l'ensemble des multinationales établies en France qu'il faut imposer
le "reporting par pays". Accompagnée du renforcement
des moyens de contrôle, cette transparence sur le chiffre d'affaires, les
bénéfices et les impôts payés dans chaque
pays sera un outil efficace pour mettre à
jour les manipulations des prix de transfert entre filiales des multinationales
et lutter contre
l'évasion fiscale, laquelle permet à Total ou Google de ne payer quasiment
aucun impôt sur les bénéfices.
Aujourd'hui,
la quasi-totalité de la classe politique semble à l'unisson pour fustiger
le comportement d'un homme. Cette indignation, si elle n'est pas feinte, doit
être accompagnée de décisions concrètes rapides. Cette classe politique
quasi-unanime doit donc prendre des
mesures concrètes afin d'éviter que de tels agissements qui mettent à mal les
budgets publics et la démocratie puissent se reproduire.
A défaut, les indignations d'un jour pourraient apparaître comme une hypocrisie
poursuivie.
Dominique
Plihon (porte-parole d'Attac) et Vincent Drezet (secrétaire général de
Solidaires finances publiques
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