THIERRY FABRE. Le regard de ce
chercheur qui travaille depuis des années sur le monde méditerranéen sur la
tentation de voir dans ce nouvel attentat le signe d’une guerre des religions.
«
Ne pas sous-estimer le caractère politique »
ENTRETIEN
Thierry Fabre,
essayiste et chercheur, ancien rédacteur en chef de la revue La pensée de midi et
fondateur des Rencontres d’Averroès dont l’édition 2016 aura pour thème «
Surmonter la faille ?… »
Suite à l’attentat dans
une église, de nombreuses personnes cèdent à la tentation de parler de guerre
de religions ? Est-ce opportun ?
Il fut un temps, dans
le sillage de Samuel Huntington, où l’on parlait de « Guerre des civilisations
», aujourd’hui après al Qaïda et l’internationale de la terreur Daech, nous
devrions parler de guerre de religions ?
Ce serait très réducteur et sous-estimer
le caractère politique de tels actes.
Les cibles, à Nice
comme à Saint-Etienne du Rouvray, sont des symboles, le 14 juillet à Nice, au moment
de la fête de la République, ce moment où nous sommes supposés tous nous rassembler,
et à St-Etienne du Rouvray une Eglise catholique. L’objectif énoncé par Daech
est clairement de provoquer la guerre civile dans un pays comme la France. La
propagation de la violence et la guerre de tous contre tous. Les attentats provoquant
des ripostes, des agressions en retour qui rendent la vie en commun impossible.
Cette guerre politique s’exprime
dans un langage pseudo religieux, mais il faut faire bien attention de ne pas y
succomber. Ce serait dévastateur et permettrait à Daech d’obtenir exactement ce
qu’il cherche. Il y a une fragilité du politique, de notre démocratie dite
représentative, et il est très important, comme nous y invite par exemple une
figure telle que le pape François, de ne pas accuser indistinctement et de
laisser proliférer une violence et une haine qui pourrait tout emporter sur son
passage.
Nous sommes dans la
faille, et si les choses continuent ainsi à ce rythme, bientôt dans le gouffre.
Une optique « guerrière
» qui supposerait quels « adversaires » ?
Ce sont bien des actes
de guerre, d’une nouvelle forme de guerre à laquelle il s’agit de répondre
politiquement. Les « adversaires » et bien c’est Nous.
Mais de qui et par qui
est composé ce « Nous » ? D’une identité pure ou de la diversité qui est la
réalité de nos sociétés contemporaines ? J’ai été très étonné, après les
attentats de Nice, que nous ne prenions pas la mesure qu’environ un tiers des personnes
tuées sont de culture ou de religion musulmane. Elles composent ce Nous de la
société française et sont des cibles comme les autres personnes tuées le 14
juillet à Nice. Ce n’est évidemment pas le cas lorsqu’une attaque cible une
Eglise.
Ce qui importe, me semble-t-il,
c’est de ne pas nous diviser, en communautés séparées, qui feraient blocs, mais
de définir un possible monde commun, un bien commun qui permet de faire tenir
ensemble la Cité. Or c’est justement le fondement du symbole de faire tenir
ensemble, c’est pourquoi il est attaqué en priorité.
Une telle option ne
mettrait-elle pas une croix sur les tentatives de réforme qui ont lieu au sein de
l’islam qui seraient pourtant une des solutions pour un vivre ensemble apaisé ?
Ce qui est au-devant de
la scène aujourd’hui c’est le djihadisme, le salafisme ou le wahhabisme qui nous
imposent leurs catégories rétrogrades et leur lecture du monde rétrospective ou
destructrice. Mais il est une toute autre lecture de l’islam qui existe, même
si on en entend moins parler, que Jacques Berque comme Mohamed Arkoun
appelaient « l’islam méditerranéen ».
C’est sur cette
approche de l’islam que nous travaillons dans le cadre des rencontres d’Averroès
et c’est autour de cet islam critique, ouvert, qu’il faut avancer.
Des réponses militaires
et sécuritaires sont indispensables pour répondre aux attaques terroristes,
mais cela ne suffira pas car « on n’arrête pas les idées avec des balles » mais
avec d’autres idées, d’autres visions du monde, d’autres valeurs. C’est une
chance donnée à la pensée critique, dans l’islam contemporain, qui peut nous
permettre d’envisager l’après, au-delà de la terreur et du désastre qui nous
assaillent aujourd’hui.
Angélique Schaller
La Marseillaise
La Marseillaise