lundi 10 février 2014

INÉGALITÉ EN HAUSSE

2008-2011 : inégalités en hausse, revenus en baisse pour les plus modestes

10 février 2014 - Un gain de revenu de 3 900 euros pour les 10 % les plus riches contre une perte de 400 euros pour les 10 % les plus pauvres entre 2008 et 2011. Les catégories modestes décrochent.


Le niveau de vie moyen annuel [1] des 10 % les plus riches a augmenté de 3 925 euros, soit + 7 % entre 2008 et 2011, alors que celui des 10 % les plus pauvres a perdu 400 euros pour les 10 %, soit une baisse de 4,8 % de leur niveau de vie sur cette période. La crise frappe bien davantage les ménages les plus modestes. Sur cette période, toutes les tranches de 10 %, jusqu’aux deux tiers environ de la population la plus pauvre, ont vu leur niveau de vie annuel diminuer. La baisse la plus forte en euros est celle de la tranche des 20 à 30 %, avec moins 510 euros. Entre 40 et 70 % - en gros les classes moyennes - le niveau de vie baisse également, en particulier pour les plus modestes de cette catégorie qui a perdu 359 euros entre 2008 et 2011. Au-delà (c’est-à-dire environ 2 100 euros mensuels pour une personne seule), parmi les catégories aisées, les niveaux de vie ont continué à progresser avec un niveau exceptionnel pour les 10 % aux revenus les plus importants.
Pendant la crise, les plus riches continuent de s’enrichir tout en se plaignant de devoir contribuer davantage à la solidarité nationale (le « ras le bol » fiscal). Les inégalités augmentent depuis la fin des années 1990, mais jusqu’à présente elles étaient uniquement tirées par l’envolée des hauts revenus : désormais ce sont les plus pauvres qui décrochent. Et de façon très très nette. On entre dans un nouveau régime d’inégalités de revenus, que notre pays n’a pas connu au moins depuis les années 1970, date du début des données statistiques détaillées...
Et encore, nous minimisons le phénomène. D’abord parce que ces données ne portent pas sur les revenus les plus élevés de l’échelle (les 5 ou 1 % les plus riches) (voir notre article). Ensuite parce qu’on a de bonnes raisons de penser que le mouvement a continué et s’est amplifié depuis 2011, avec la très forte hausse du chômage.

olution 2008-2011 des revenus 
Niveaux de vie moyens annuels
2008 2011 Variation 2008-2011 (en euros) Variation 2008-2011 (en %) 
Niveau de vie moyen des 10 % les plus pauvres8 3807 980- 400- 4,8
Entre les 10 et les 20 %12 31011 850- 460- 3,7
Entre les 20 et les 30 %14 73014 220- 510- 3,5
Entre les 30 et les 40 %16 77016 271- 499- 3,0
Entre les 40 et les 50 %18 70018 341- 359- 1,9
Entre les 50 et les 60 %20 80020 551- 249- 1,2
Entre les 60 et les 70 %23 25023 151- 99- 0,4
Entre les 70 et les 80 %26 55026 6601100,4
Entre les 80 et les 90 %32 17032 3982280,7
Des 10 % les plus riches55 85059 7753 9257,0
Ensemble22 95023 1201700,7
Données après impôts et prest. sociales, pour une pers. seule
L'observatoire des inégalités

lundi 3 février 2014

LE TAUX DE PAUVRETÉ EST DE 55¨% DANS LE 3ème ARRONDISSEMENT

La pauvreté dans les arrondissements de Paris, Lyon et Marseille

Pour la première fois, nous publions les taux de pauvreté des arrondissements des trois plus grandes villes de France. Il faut noter que bon nombre de ces arrondissements ont une population qui les classerait parmi les plus grandes communes de France. Leur étude en tant que telle est donc riche d’enseignements.
Le tout premier, c’est la situation spécifique de Marseille. La ville, qui comprend des arrondissements entiers très populaires au cœur même de la ville, est marquée par des taux de pauvreté supérieurs à 40 % . Le prix des logements n’a pas autant explosé que dans les deux autres métropoles, il y persiste un parc privé à prix relativement modéré. Dans le 3e arrondissement, nous évaluons le taux de pauvreté à 55 % : plus que Roubaix, commune qui arrive en première position selon le taux de pauvreté parmi les 100 plus grandes villes. Dans les arrondissements voisins du 1er et du 2e, autour du vieux port, le taux de pauvreté atteint 43 % et 44 %. Viennent ensuite les quartiers Nord (14e et 15e arrondissements), avec 42 et 43 %. Et encore, notre étude réalisée pour la région Paca [6] montrait que dans certains quartiers, le taux de pauvreté pouvait dépasser 75 %. A l’ouest de la ville en revanche, les 8e et 12e arrondissements connaissent des taux de pauvreté (9 et 10 %) similaires à ceux des arrondissements les plus riches de Lyon ou Paris.
A Paris et à Lyon, le taux de pauvreté par arrondissement ne dépasse pas 25 % (19e arrondissement parisien). Ces communes ont connu un processus de gentrification massif, notamment dans l’Est parisien. Dans les arrondissements les plus aisés, le taux se situe entre 7 % (7e arrondissement parisien) et 9 % (4e arrondissement lyonnais). Des territoires où le prix des loyers atteint des niveaux démesurés : hors habitat social ou très petites surfaces (chambres de bonne notamment), les plus pauvres ne peuvent avoir les ressources pour se loger dans le parc locatif privé.
Quand on y regarde de plus près, Lyon et Paris sont loin d’être uniquement peuplées de catégories aisées. Dans cinq arrondissements, les 8e et 9e de Lyon, les 18e, 19e et 20e de Paris, le taux de pauvreté dépasse 20 %, largement plus que la moyenne nationale de 14,3 %. On y compte des personnes seules, mais aussi des familles démunies, parfois logées dans un parc privé très dégradé.
L’écart entre Marseille, Paris et Lyon est moins grand qu’il n’y paraît. Il est en partie lié à un phénomène d’échelle d’observation. Les trois arrondissements parisiens les plus pauvres comptent chacun 200 000 habitants. Chacun de ces arrondissements représente plus d’habitants que les quatre arrondissements marseillais les plus pauvres regroupés. A l’intérieur des 18, 19 et 20e arrondissements de Paris en particulier (mais aussi le 13e par exemple), selon nos calculs – non publiés – le taux de pauvreté dépasserait 40 % dans plus d’une dizaine de quartiers. En taille de population, ces quartiers rassemblent l’équivalent d’un arrondissement de Marseille. A Lyon, on retrouve le même phénomène au sein des 8e et 9e arrondissement, avec des taux qui dépassent 30 voire 40 %, comme c’est le cas par exemple au quartier Balmont (un taux de pauvreté de 46 %). La singularité de Marseille réside surtout dans le fait que les populations démunies continuent à vivre au cœur même de la ville (encore qu’à Lyon le 1er arrondissement reste relativement populaire). La mixité des grandes métropoles est peut être plus importante qu’on ne le pense quand on s’y penche de plus près [7]. La géographie des revenus des grandes villes dessine des modèles qui restent différents, comme l’a montré d’ailleurs dans une thèse récente le démographe Aurélien Dasré [8].
Malgré la hausse des prix de l’immobilier, les grandes villes rassemblent encore une grande partie de la population pauvre et certains quartiers atteignent des niveaux de pauvreté qui dépassent de très loin la moyenne du pays. Ces éléments montrent une nouvelle fois, la nécessité d’une approche détaillée si l’on veut comprendre la réalité économique et sociale des territoires. Il faut pouvoir raisonner avec des échelles semblables si l’on veut échapper à l’illusion que peuvent créer des îlots de pauvreté, créés par le découpage utilisé. A l’échelle de la France, on peut par exemple faire apparaître de vastes territoires marqués par des taux de pauvreté élevés, mais qui, peu denses, ne regroupent qu’une population très faible. A l’échelle des grandes villes, une très forte densité peut faire disparaître des taux de pauvreté très forts localement, qui se cachent derrière des moyennes : si on y regarde de plus près, la pauvreté réapparaît.

Louis Maurin et Violaine Mazery.
                                                                                                                                               L'observatoire des inégalités